L'Origine des Espèces

Je viens de lire avec grand plaisir l'Origine des Espèces de Charles Darwin. La découverte de la vraie pensée de l'auteur et des difficultés qui pouvaient être rencontrées en 1859, à l'époque de la publication du livre, permettent d'éviter les contresens et de mieux comprendre comment « la théorie de la descendance avec modification par sélection naturelle » a pu être établie. Darwin procède en décrivant un certain nombre de faits inexplicables sans sa théorie, autrement dit si l'on pense que les espèces sont immuables.

Tout d'abord, il établit une analogie avec la sélection humaine. En effet, tous les naturalistes, bien que croyant qu'aucune espèce ne descendait d'une autre espèce, constataient l'existence de variétés domestiquées, qui ont été crées par l'homme à partir d'une variété sauvage. Nous trouvons des variétés de pigeons sauvages et de pigeons domestiqués qui n'ont pas exactement la même forme de bec, le même plumage ou le même comportement. L'homme a sélectionné, à chaque génération, parmi les pigeons sauvages, ceux qui présentaient les caractères qui l'intéressaient, et ils les ont transmis à leur descendance, jusqu'à l'apparition d'une variété domestiquée. Darwin montre qu'il en va de même dans la nature, et que même, puisque celle-ci dispose d'infiniment plus de temps que l'homme, elle peut former, petit à petit, non plus des variétés distinctes, mais des espèces. C'est ce passage de la sélection humaine à la sélection naturelle, de la formation de variétés à la formation d'espèces, qui constitue le grand saut de Darwin.

Ensuite, la lecture de l'Origine des Espèces m'a permis d'éviter des erreurs au sujet de la théorie de Darwin. Je pensais que les conditions physiques de vie étaient les principales raisons pour lesquelles un individu survivait, et un autre non. Par exemple, un animal qui présenterait une fourrure un peu plus épaisse que les autres de son espèces aurait plus tendance à survivre dans une zone froide, et serait donc sélectionné. Cela n'est pas faux, mais Darwin insiste sur le fait que la sélection naturelle se fait surtout dans le rapport qu'un être entretient avec les autres êtres vivants. En effet, chaque organisme occupe une place dans l'économie de la nature, tous les êtres vivants entretiennent des rapports étroits, et la modification d'un des organismes bouleverse tous ces rapports, si bien qu'une place dans la nature sera libérée. Un autre organisme, qui présentera une modification lui permettant d'occuper cette nouvelle place, sera alors sélectionné. On aurait tendance à croire que les organismes vivant en un lieu précis sont les plus adaptés à ce milieu, mais c'est faux, comme le prouve la rapidité et la facilité avec laquelle se sont répandues certaines espèces européennes en Amérique. Il y a toujours des places de libre dans la nature, et l'individu qui présentera une modification lui permettant d'occuper cette place sera sélectionné.

Le point également très intéressant est que L'Origine des Espèces m'a permis de répondre à quelques questions que je me posais au sujet de la théorie de la sélection naturelle. Puisque les organismes varient de façon insensible, et ne deviennent que très lentement des espèces distinctes, comment se fait-il que nous n'observons pas dans la nature ce que Darwin appelle des « formes transitionnelles », c'est-à-dire de nombreuses espèces commençantes, mais qu'au contraire on observe des formes bien tranchées, et très différentes. Darwin répond à ce problème en montrant que les formes intermédiaires ne sont pas assez distinctes des deux autres formes plus différentes pour survivre. Puisqu'il s'agit de prendre des places dans la nature, une forme intermédiaire sera « à cheval » entre deux places plus parfaitement occupées par les formes proches. Elle sera donc plus rare, moins bien adaptée, et finira, la plupart du temps, par être exterminée. La sélection naturelle a tendance a éliminer les formes intermédiaires car elle privilégie un maximum de variation. Cependant, ce problème résolu, un autre surgit tout de suite : comment se fait-il alors qu'on ne trouve pas les fossiles de formes intermédiaires dans les formations géologiques ? Darwin défend l'idée que les archives géologiques sont extrêmement imparfaites, et qu'il faut absolument l'admettre pour adhérer à sa théorie.

Si l'on admet que nous ne trouvons qu'une très faible part des restes d'organismes anciens, le contenu des archives géologiques est alors mieux expliqué par sa théorie que par le créationnisme. Par exemple, les fossiles observés dans deux formations géologiques consécutives sont bien plus en rapport que si l'on comparait ceux de deux formations plus distantes. La théorie de Darwin explique cela par le fait que les organismes ont moins varié entre deux ères consécutives, puisqu'ils sont plus apparentés, qu'entre deux ères qui ne sont pas consécutives. Mais la doctrine croyant en l'immutabilité des espèces ne peut donner raison de cette observation. Il en va ainsi pour un grand nombre d'observations de Darwin, que je ne détaillerai pas ici.

J'ajouterai une remarque : Darwin n'utilise pas une seule fois le mot « évolution » dans son livre, mais sa dernière phrase parle pourtant de formes qui « ont évolué et évoluent encore ». Il n'appelle donc pas sa théorie « la théorie de l'évolution », comme on a l'habitude d'entendre. De plus, Darwin n'a jamais dit que l'homme descendait du singe. En effet, ceci est faux, on peut dire à la rigueur que l'homme et le singe ont un ancêtre commun exclusif récent; mais Darwin ne fait référence que par quelques mots discrets au cas de l'homme dans sa théorie. « De la lumière sera jetée sur l'origine de l'homme et son histoire. »

Si vous souhaitez découvrir l'oeuvre de Darwin mais que vous manquez de temps, je vous recommanderai de lire seulement la conclusion de L'Origine des Espèces, qui reprend en quelques mots tout ce qui a été dit dans l'ouvrage.